dimanche 7 février 2010

La polémique sur l’utilisation du mot ‘Allah’ en Malaisie

Le Mercredi 6 Janvier dernier, la justice malaisienne a suspendu l’application d’une décision que venait de rendre quelques semaines auparavant la Cour d’Appel de la capitale Kuala Lampur, autorisant les minorités religieuses du pays –chrétiens et Indous notamment- à utiliser le mot ‘Allah’ quand elles font référence à Dieu. Officiellement cette suspension est la conséquence de l’appel fait par le gouvernement de ce jugement. Mais on ne peut s’empêcher de penser que la pression de la rue et les violences avec lesquelles cette décision de justice a été accueillie soit étrangère à cette suspension. Au moins six églises ont été détruites dans des violences qui ont éclaté dans la capitale. Mais les réactions dans le pays n’ont pas toujours été aussi imbéciles. Le gouvernement dont le premier ministre avait appelé les musulmans du pays à manifester contre la déicions de justice autorisant les autres confessions à utiliser le mot ‘Allah’ a débloqué des fonds pour la reconstruction des église détruites. Le parti islamiste PAS qui voyait dans cette polémique une manipulation du parti au pouvoir a publiquement défendu le droit des chrétiens à désigner Dieu par le mot ‘Allah’. De même de nombreux musulmans ont constitué des brigades dans leur quartier pour protéger les églises après les premières destructions de ces édifices chrétiens. Tout est parti d’une requête du journal catholique malaisien le Herald - un hebdomadaire qui tire à 14.000 exemplaires- demandant à la justice de déclarer anticonstitutionnelle et donc illégale la décision du gouvernement d’interdire l’utilisation au moins dans les publications des autres religions du mot ‘Allah’ pour désigner Dieu. Une manière pour la communauté chrétienne -qui représente 10% de la population contre 60% de musulmans, les autres groupes comme les bouddhistes et les taoïstes se partageant le reste de la population- de régler définitivement une situation de confusion qui a toujours régnée dans le pays sur cette question. Mais c’est surtout l’annonce, en début d’année dernière, par les autorités de la préparation d’un décret rétablissant l’interdit aux confessions autres que l’Islam de désigner Dieu par ‘Allah’ qui a poussé le Herald à passer à l’action. ‘Le nom d’Allah ne peut pas être utilisé par les autres religions que l’Islam, parce que cela risque de semer la confusion parmi les musulmans’ argumente notamment les autorités malaisiennes. Ce débat en Malaisie avec toute la passion qu’il déclenche localement et même internationalement peut se résumer dans deux questions. Dieu est-il musulman ? Ou dans une moindre mesure Dieu n’appartient-il qu’aux musulmans ? A ces deux questions le gouvernement malaisiens et ceux qui manifestent en soutien à cette démarche répondent par l’affirmative, du moins si on s’en tient à leur comportement et à leurs agissements. Ce qui en soit peut être blasphématoire, puisque correspondant à une forme d’aveux de l’existence de plusieurs ‘Dieux’, ce qui est considéré comme un des pires péchés qu’on puisse commettre. Dans plusieurs pays d’Afrique saharienne, Dieu est désigné dans la langue locale par Allah dans toutes les églises. J’ai eu l’occasion de le constater au Mali où en Bambara les croyants de toutes les autres confessions monothéistes utilisent ‘Allah’ pour désigner Dieu. C’est le cas dans toute la région du Sahel où avant l’arrivée des religions monothéistes les gens étaient plutôt animistes, mais surtout où l’Islam a précédé le Christianisme. Quand le Christianisme arrive la population a déjà adopté le mot ‘Allah’, le Dieu unique qui n’a pas d’équivalence ou qui n’existe tout simplement pas dans la langue Bambara. Le conférencier de la mosquée de Brixton de Johannesburg où je prie les vendredis expliquait dans son sermon sur ce débat malaisien comment il s’est retrouvé un jour à Bethlehem avec des Chrétiens arabes. Dans leur prière ils ont utilisé le mot ‘Allah’ des dizaines de fois et comme le disait Nahem non sans un certain humour, il y avait en bonus dans ces prières des expressions comme Astang-firulah ou encore mach’Allah qu’on croit purement islamiques. Les yeux fermés on se serait cru dans une mosquée a conclu le prêcheur. ‘Allah’ qui désigne Dieu Créateur n’est pas la propriété exclusive des musulmans, encore moins une espèce de marque, une invention sur laquelle les musulmans détiendraient un brevet. C’est une simple question de bon sens, qui est corroboré par plusieurs versets du coran. Voici comment on s’adresse aux Chrétiens dans le verset 64 de la sourate 3 du coran : ‘Ô vous les adeptes des précédentes révélations ! Venez à une parole que nous avons en commun : que nous n’adorons qu’Allah, sans rien Lui associer, et que nous ne prenons point les uns les autres pour Seigneur en dehors d’Allah’. Ce que les musulmans ont entre autre en commun avec les croyants des autres religions monothéistes -comme l’illustre le verset ci-dessus- c’est la foi en Allah, la croyance en l’existence d’un Dieu unique. La question qui se pose après lecture de ce verset qui est au contraire comme on le voit une invitation aux Chrétiens à croire et adorer Allah, on peut s’étonner de ce que le gouvernement malaisien à majorité musulmane adopte une position en flagrante contradiction avec des versets coraniques et même le bon sens. En réalité il y a derrière toute cette agitation des considérations d’ordre politique et religieux sous-tendues par la peur de l’autre. D’une part la coalition au pouvoir en Malaisie - le Basiran Nasional- qui défend des valeurs islamiques semble avoir cédé à la tentation de caresser la fibre islamique dans un pays où l’électorat est majoritairement musulman en même temps qu’il s’assure la pérennité d’une coalition qui compte d’importants mouvements de souches islamiques. Mais il y a aussi une vraie peur de voir les fidèles des autres confessions profiter de la possibilité pour eux d’utiliser le mot ‘Allah’ pour évangéliser des ‘naïfs’ musulmans. Cette peur réelle et les brimades dont sont souvent victimes des activistes chrétiens dans certains pays comme l’Algérie et l’Egypte sont insupportables et inacceptables. Car si des chrétiens ou des adeptes d’autres religions arrivent à convertir un musulman, ce serait la faute à celui qui s’est laissé convaincre et celle de sa communauté musulmane qui n’a pas su l’aider à découvrir tout le bien qu’il a à rester musulman. Sûrement pas celle de ceux qu’on accuse dans ces pays de prosélytisme. L’Islam que je pratique et que je découvre tous les jours, je ne l’échangerais pour aucune autre religion. Jamais. Saïd Penda