samedi 13 mars 2010

La ‘criminalisation’ de l’Islam dans la société américaine (suite et fin)…extrait de mon livre en chantier, non-relu.


‘Si j’étais musulman je vous le ferais savoir’
           C’est par cette phrase que le président américain répond dans un premier temps à une critique, à la pire des stupidités, que lui et son équipe de campagne croit voir disparaître aussi vite qu’elle a apparue mais qui allait le suivre longtemps se transformant carrément par moments en polémique qu’on peut résumer en une question: les Etats-Unis vont-ils élirent un musulman à la présidence de la république ? Et quand finalement après des longues semaines de démentis ses adversaires se rendent compte de ce que le travail entrepris par monsieur Obama et son équipe de campagne est entrain de convaincre l’opinion du contraire, ils recentrent leur stratégie sur les liens entre Barack Obama et l’Islam qu’on peut résumer dans cette question en Anglais: Was Barack Obama a Muslim ? Barack Obama était-il musulman ? Le succès que remporte au sein de l’opinion américaine cette interrogation -si on en juge par les réactions sur Internet et sur les médias- nous fait donc découvrir que ce n’est plus seulement l’appartenance à l’Islam qui devient un crime, mais que le simple fait d’y avoir appartenu suffirait à vous condamner aux yeux de l’opinion américaine.
              Le très sérieux quotidien américain New York Times note ainsi en pleine campagne de la présidentielle américaine dans une de ses éditions, pour démontrer l’importance dans l’opinion de cette question de l’islamité de celui qui postulait à la maison blanche que dans les propres discours du candidat et sur Internet ‘la partie de la biographie du sénateur Barack Obama qui retient le plus l’attention ce n’est pas sa race, mais ses liens avec le monde musulman’. Sur le site Internet du candidat démocrate on croit mettre définitivement un terme à ces allégations: ‘Barack Obama n’est pas et n’a jamais été un musulman…Obama n’a jamais prié dans une mosquée. Il n’a jamais été musulman, il n’a pas été élevé musulman et est un chrétien engagé’. Ses représentants exhibent publiquement une lettre attestant de la foi chrétienne de Barack Obama signée par le clergé de sa localité. Excédé, Barack Obama finit par répondre lors d’une manifestation publique alors qu’il est interpellé sur ses liens avec l’Islam: ‘Si j’étais musulman je vous le ferais savoir…mais je suis membre de l’Eglise Unie du Christ Trinité, sur la 95e Rue, dans la South Side à Chicago. Nous avons la meilleure chorale de toute la ville, et si vous voulez venir prier avec nous vous êtes le bienvenus’. On ne pouvait être plus précis.
              Et pourtant cela ne suffit apparemment pas puisque ses adversaires continuent à le présenter comme tout au moins une ‘taupe islamique’ et le candidat qui connaît vraisemblablement la fragilité émotionnelle de l’opinion dans son pays mesure bien les effets dévastateurs que peuvent avoir de telles affirmations et il doit continuer à réagir. Quelques semaines à peine après, le 22 Décembre 2007, alors qu’il se trouve pour un déjeuner de campagne dans le célèbre Smoky Row Coffee Shop à Oskaloosa dans l’Iowa -où il s’attend certainement à ce qu’on lui demande plus d’explications sur sa principale promesse d’assurance maladie pour presque tous les Américains dans un pays où la majorité de la population ne peut pas se soigner- on l’interpelle plutôt sur son héritage islamique. Il se lance dans un long exposé qui allie généalogie de sa famille, géographie et logiques les plus simples -pour tout le monde mais apparemment pas pour une bonne partie de ses compatriotes se dit certainement à ce moment Barack Obama- comme le fait pour un enfant de parents divorcés dont la garde est confiée à sa maman de suivre cette dernière là où elle s’installe. Le ton que le candidat Obama emprunte est presque celui d’un adulte s’adressant à des enfants, bien qu’il soit devant un public de gens éduqués : ‘Mon père est né au Kenya et beaucoup de personnes dans son village étaient musulmans. Il n’a pas pratiqué l’islam. La vérité c’est qu’il n’était pas très religieux. Il rencontre ma mère. Ma mère était une chrétienne originaire du Kansas et ils se sont mariés et ils ont divorcé. J’ai été élevé par ma mère. Alors j’ai toujours été chrétien. Le seul lien que j’ai eu avec l’islam c’est que mon grand père paternel est originaire de ce pays (le Kenya où une partie de la population est musulmane). Pendant un moment j’ai vécu en Indonésie parce ma mère enseignait là-bas. Et c’est un pays musulman. Et j’ai été scolarisé. Mais je n’ai jamais pratiqué l’islam’.
               Les adversaires du candidat et les islamophobes de tout genre au sein de l’opinion américaine ne désarment pas et reviennent à la charge. Deux jours après cette déclaration de Barack Obama, le 24 Décembre 2007, Daniel Pipes -le Ben Laden d’un certain Occident anti-musulmans et véritable pape de ce courant de pensée heureusement très minoritaire mais fort actif, des fois puissant mais assurément très manipulateur- estime que ‘ces déclarations soulèvent deux questions : Quel est le vrai lien de Obama avec l’Islam et quelles implications ces liens pourraient avoir sur une présidence Obama ?’ Des groupes comme Associated Press -la plus grande agence de presse américaine à laquelle sont abonnés tous les grands médias de la fédération- le Los Angeles Times, le Times et d’autres, investissent des fortunes dans le but de démontrer que Obama a été musulman. Des envoyés spéciaux et les correspondants locaux sont sur le terrain en Indonésie où le candidat a passé une partie de son enfance avec sa maman qui s’était remariée…à un musulman. Hé oui malheur l’en a pris puisque son fils doit payer pour cela…quarante ans après. Alors que elle-même, morte le 7 Novembre 1995, n’est plus là pour dire que diable l’a poussée à se marier avec des musulmans, dont le dernier pratiquant. D’importants moyens sont mobilisés pour traquer le présumé criminel Obama, soupçonné d’avoir été musulman, pour un enfant qui avait six ans au moment où il est supposé avoir commis ce forfait…comme si un enfant de six ans choisi réellement sa religion. Des journalistes d’investigation interrogent sur place en Indonésie ce qui reste du voisinage de Obama, les enseignants et l’instituteur soumis à l’interrogatoire et on finit par découvrir -enfin découvrir comme si c’était bien caché- on apprend que l’enfant a été inscrit comme ‘musulman’. Dans ce pays à très forte majorité musulman -pour ménager toutes les susceptibilités- on demande à l’inscription à l’école sous quelle religion on inscrit un enfant entre les cinq reconnus : Musulman, Hindou, Bouddhiste, Catholique ou Protestant. Normal dès lors que son beau-père -lui-même musulman- qui l’a inscrit à l’école l’ait déclaré musulman, surtout que l’enfant est né d’un père musulman et que la maman -son épouse- ne lui a jamais rien dit de contraire sur ce sujet.   On a donc exulte t-on, la preuve de ce que Barack Obama a été musulman, même s’il n’avait alors que six ans. C’est le moment de faire entrer en scène les Grands Reporters : cheveux gris et rides qui témoigneraient d’une grande expérience de terrain et du métier; gilets de couleur kaki à poches multiples de commandos sur une chemise carrelée bien repassée et un tout petit carnet de notes qu’on pourrait facilement glisser dans la poche d’une chemise…quand on est autant chevronné on n’a pas besoin de beaucoup écrire et quelques notes suffisent. On déniche un ami d’enfance de Barack Obama. Du vrai travail de pros ! Ce dernier explique que : ‘enfants nous aimions rencontrer nos amis et allions ensemble à la mosquée et nous amuser’. La preuve irréfutable : Barack Obama allait à la mosquée !...quand il avait six ans. Même si je ne doute pas que ceci puisse être vrai, je m’étonne cependant de ce que personne –pas même les Grands Reporters qui écrivent et publient ces reportages- ne s’interroge sur la valeur que peuvent avoir les souvenirs d’enfance d’un gamin de 5 ans...quarante ans plus tard. Tout comme on peut s’interroger sur la fiabilité du témoignage de la demi-sœur de Barack Obama, qui vient en défense de son grand frère, publié sur le site de campagne de celui-ci : ‘la famille n’allait à la mosquée que lors de grands évènements’ écrit Maya Soetoro. Pathétique. Elle avait trois ans quand Barack Obama vivait en Indonésie…Une vraie génie non ?
           La vérité sur cette épisode comme l’ont indiqué différentes biographies du président américain c’est qu’il est né d’un père lui-même musulman de naissance -Hussein Onyango Obama de l’ethnie Luo du Kenya- qui n’a jamais pratiqué l’Islam pas plus que son fils Barack Hussein Obama. Obama père est un alcoolique qui s’est tué au volant de sa voiture en 1982. On est donc très loin d’un personnage porteur des valeurs islamiques. Sa mère - Ann Dunham- bien que née chrétienne et revendiquant son appartenance à cette religion n’est pourtant pas très assidue dans les lieux de cultes, bien que la fréquentation des églises ne témoigne pas de la foi. Barack Obama par contre, comme l’affirment de nombreux témoignages, est un croyant et un activiste chrétien.
        Au-delà du choc que la création dans l’opinion de ce crime d’appartenance à l’Islam ou d’y avoir appartenu à un moment de sa vie crée au sein de la communauté musulmane du monde entier, les musulmans s’étonnent et sont surtout révoltés par le silence des intellectuels américains et occidentaux de façon générale. Eux si prompts à traquer et à dénoncer les moindres actes anti-sémites et homophobes ou toute autres atteintes aux droits de l’Homme sauf quand les auteurs de ces violations sont des gouvernements alliés d’Afrique ou du Proche et du Moyen-Orient. Mais  là c’est silence radio. Une attitude à ce flagrant délit d’islamophobie profondément troublante pour les musulmans. Une absence de réaction qui est interprétée par la communauté musulmane comme une autre preuve de la criminalisation de l’islam qui même si elle n’est pas encore juridique, l’est déjà sur le plan morale dans nombre de sociétés occidentales. En comparaison le premier ministre canadienne, Stephen Harper, a vivement condamné en Décembre 2009 le gouvernement ougandais pour avoir adopté des lois qui durcissent la répression de ce qui est considéré dans ce lointain pays africain comme le crime d’homosexualité. Plus de 90% des citoyens de son pays seraient certainement incapables de dire dans quelle partie de l’Afrique se trouve ce pays. S’ils ne pensent pas que c’est certainement un pays arabe ou musulman…du Proche ou du Moyen-Orient. Mais face au vote suisse interdisant les minarets dans ce pays qui constitue un acte d’intolérance grave si ce n’est de l’islamophobie à l’état primaire comme l’ont reconnu la majorité des intellectuels indépendants, le premier ministre canadien, comme la quasi-totalité des dirigeants des pays occidentaux n’a pas dit un mot. Une indifférence qui ne traduit pas la gêne qu’a crée ce référendum suisse, mais qui à mon avis est surtout révélateur, est l’expression du fait que l’attaque à l’Islam, même la plus irraisonnée comme celle de la Suisse, relève désormais du normal ou tout au moins du banal.
          Pour revenir aux Etats-Unis, on peut se demander si les Américains n’ont pas à ce moment-là raté l’occasion de se réconcilier avec le monde musulman, en rappelant à ceux qui ont lancé le débat sur l’islamité supposé de Barack Obama, qu’être musulman ou même l’avoir été n’est pas un crime dans ce pays. On aurait ainsi pu épargner aux médias de devoir dépenser de l’argent qui aurait pu servir à plus parler des programmes des candidats, permettant de cette façon aux citoyens américains de faire plus un choix raisonné, de voter avec la raison qu’avec la passion. Inconsciemment peut-être -et sans vouloir mettre en cause l’impressionnant bagage intellectuel de Barack Obama et l’alléchant programme du Parti Démocrate- les Américains n’ont-ils pas finalement recaler celui qui avait le moins de tonus, à la fois dans sa voix que dans sa démarche ?
           Les seuls vrais vainqueurs dans cette affaire de l’islamité supposée de monsieur Obama, ce sont les groupes terroristes islamistes dont la propagande est presque exclusivement fondée sur la prétendue haine que le monde occidental aurait de l’Islam et des musulmans.